mardi 1 octobre 2013

Apollinaire dans le domaine public

L'oeuvre du poète vient de tomber dans le domaine public, 94 ans et 272 jours après sa mort. Peut-on désormais tout faire de l'auteur d'"Alcools" ? 

Maurice Leblanc, père d'Arsène Lupin, est entré dans le domaine public le 1er janvier 2012. Comme le philosophe Henri Bergson, mort également en 1941. Apollinaire, emporté le 9 novembre 1918 par la grippe espagnole, vient à peine de les rejoindre. Pourquoi ce régime de faveur ? Le poète est emblématique des méandres juridiques qui entourent la notion de domaine public. Le droit d'auteur court aujourd'hui jusqu'à 70 ans après la disparition d'un auteur (il a été allongé de 20 ans en 1993, conformément à une directive européenne). Mais un délai supplémentaire est prévu pour les morts pour la France (une qualité qui a été reconnue à Apollinaire, tué par l'épidémie alors qu'une grave blessure l'avait affaibli), et un autre pour les oeuvres dont l'exploitation a subi l'impact de l'une des guerres mondiales, ou des deux. "Il s'agit, à chaque fois, d'exceptions votées par le législateur suite à la demande d'ayants droit", explique Benjamin Jean, juriste spécialisé en propriété intellectuelle et cofondateur de la société Inno3.

Dans une tribune publiée lundi dans Libération, trois spécialistes, Véronique Boukali, Alexis Kauffmann et Lionel Maurel, refont ainsi le calcul qui mène à cet étrange 29 septembre 2013 où le droit d'auteur a expiré pour Alcools et consorts : "50 ans (durée classique) + 30 ans (mort pour la France) + 6 ans et 152 jours (Première Guerre mondiale) + 8 ans et 120 jours (Seconde Guerre mondiale)"... Ce n'est donc que 94 ans et 272 jours ans après la mort d'Apollinaire qu'il devient possible, sans verser d'argent à des ayants droit ni demander d'autorisation, de traduire "Le pont Mirabeau" ou de mettre en scène les Poèmes à Lou. L'oeuvre du poète peut désormais être copiée, partagée, adaptée ou citée librement.

Expropriation

"Il existe une multitude de règles et d'exceptions selon les pays, souligne Mélanie Dulong de Rosnay, spécialiste du domaine public et chargée de recherche au CNRS. En Égypte, par exemple, les droits patrimoniaux sont prolongés après une donation. Au Mexique, ils sont portés à 90 ans après la mort de l'auteur. Mais la France fait partie des pays où la situation est la plus compliquée". L'association internationale Communia, dont Mélanie Dulong de Rosnay est présidente, fait ainsi 14 propositions pour faire évoluer le droit et l'harmoniser.
Car, assure-t-elle, il y a urgence. Une urgence "fonctionnelle", au vu de la somme de travail que de tels écheveaux demandent pour être démêlés. Mais surtout une urgence "politique". "Le domaine public n'est pas inscrit dans la loi, il correspond en quelque sorte à l'état 'naturel' des oeuvres avant que le droit d'auteur ne s'exerce ou lorsqu'il expire", souligne la spécialiste. Le domaine public n'est ainsi défini que négativement, par l'absence du droit exclusif qu'est le droit d'auteur. Or cette "zone grise" permet aujourd'hui des pratiques qui reviennent, selon Mélanie Dulong de Rosnay, à une "expropriation" d'oeuvres du domaine public. Comme le "copyfraud" qui consiste, pour une institution ou un particulier, à ajouter un droit exclusif sur des oeuvres pourtant tombées dans le domaine public - comme le font certaines bibliothèques au moment de la numérisation de leurs fonds.
Reste le "droit moral" de l'artiste sur son oeuvre, inaliénable lui, qui oblige notamment à maintenir le lien entre la personnalité de l'auteur et l'oeuvre (citer son nom ou conserver l'anonymat ou le pseudonyme qu'il avait souhaité) ainsi qu'à respecter l'intégrité de l'oeuvre. "Les ayants droit d'un auteur peuvent ainsi empêcher une reprise de son oeuvre qui aurait été contraire à sa volonté", explique Benjamin Jean. Ce qui est, cependant, difficile à faire valoir. Le seul cas connu en France est celui des héritiers de Victor Hugo qui ont essayé, dans les années 2000, de faire interdire une suite aux Misérables. L'affaire avait fait l'objet d'une véritable saga judiciaire, et s'était achevée en 2008 par une victoire de l'auteur de Cosette ou le temps des illusions et Marius ou le fugitif. Reste à découvrir ce que l'oeuvre d'Apollinaire, des poèmes aux romans érotiques et des pièces de théâtre aux lettres, produira comme reprises, et comme surprises.

 
Marion Cocquet (Le Point 01/10/2013)




Un calligramme est un poème dont la disposition graphique sur la page forme un dessin, généralement en rapport avec le sujet du texte, mais il arrive que la forme apporte un sens qui s'oppose au texte. Cela permet d'allier l'imagination visuelle à celle portée par les mots.
C'est le poète français Guillaume Apollinaire qui est à l'origine du mot (formé par la contraction de « calligraphie » et d'« idéogramme »), dans un recueil éponyme (Calligrammes, 1918). Étymologiquement, ce mot-valise signifie « Belles Lettres » dans la mesure où il reprend l'adjectif grec kali (« belle ») et le nom gramma (« signe d'écriture » , « lettre »). Il s'agissait donc pour Apollinaire d'« écrire en beauté ». Il aurait ainsi déclaré parodiquement à son ami Picasso  : « anch'io son' pittore ! » (« moi aussi je suis peintre ! »)
Ainsi, cette forme particulière de poésie est parfois nommée poésie graphique.