mercredi 9 octobre 2013

Le proto-indo-européen

C'est une voix extrêmement lointaine que l'on s'efforce, depuis des années, de percevoir. Et les plus grands et perfectionnés radiotélescopes ne pourront rien y faire. Car l'objectif est d'écouter la voix de nos ancêtres préhistoriques, lorsqu'ils «papotaient» autour du feu il y a 6000 ans sur notre continent. On n'en était évidemment déjà plus au stade des grognements animaux. Mais aucune trace enregistrée ni écrite n'a été laissée. Cette langue est donc plus que morte, elle s'est volatilisée. Sur ce terrain de sables mouvants, des chercheurs tendent l'oreille et déploient leurs neurones. Pas d'autre solution pour essayer de savoir comment «vocalisaient» nos prédécesseurs.
La plupart des linguistes admettent que les langues indo-européennes modernes descendent toutes d'une langue ancêtre commune. Elle est appelée proto-indo-européen et était parlée il y a entre 6000 et 4000 ans par les hommes préhistoriques qui, pendant cette période, continuèrent de coloniser progressivement les steppes de l'Eurasie de l'ouest à l'est. Toutefois, des divergences importantes subsistent entre spécialistes sur la question des origines géographiques et le calendrier exact des faits.

Mais dès le XIXe siècle, les linguistes se sont demandé quels étaient le vocabulaire et la grammaire employés par nos ancêtres. Pour cela, ils ont pris les langues les plus anciennes qui avaient laissé des écrits et des traces phoné­tiques comme le sanscrit, le grec, le latin, etc. Les linguistes procèdent un peu comme les généticiens pour reconstituer des arbres généalogiques. En l'occurrence, les points communs, les différences, l'origine des uns et des autres, la vitesse de transformation d'une langue, les changements les plus fréquents…

Une "approximation"

Ainsi, grâce aux efforts de la linguistique, dès le milieu du XIXe siècle, un vocabulaire possible du proto-indo-européen était décrit. Et, en 1868, le linguiste allemand August Schleicher concoctait un fabliau avec les mots préhistoriques qui avaient déjà été reconstitués. Cette petite fable raconte l'histoire d'un mouton dont la laine a été tondue et qui rencontre deux chevaux peu avenants. Ce texte va prendre la place d'une sorte de texte fondateur et, au fil des années et des progrès de la discipline, s'enrichir et évoluer.
Depuis peu, outre le vocabulaire reconstitué, sur le même modèle, les sonorités via la phonologie l'ont elles aussi été. Se fondant entre autres sur les travaux du linguiste H. Craig Melchert, le chercheur en linguistique Andrew Byrd, de l'université du Kentucky, a enregistré en «langue préhistorique» la fable du mouton sans laine, incorporant des sons inconnus du temps des travaux de Schleicher parus dans la revue américaine Archaeology). 

Un linguiste américain a reconstitué la sonorité du proto-indo-européen, le vocable disparu des hommes préhistoriques.
 
Andrew Byrd reste modeste, estimant que cette reconstitution ne reste bien sûr qu'une «approximation», mais qu'elle est tout de même «poussée». Il reconnaît aussi que cette langue est très «gutturale». Il a également enregistré un autre texte préhistorique reconstitué à partir d'une collection d'anciens hymnes sanscrits, racontant l'histoire d'une prière d'un roi à un dieu. Faute d'autres textes reconstitués, Andrew Byrd n'envisage apparemment pas de réaliser d'autres enregistrements. Ceux-ci vont déjà sans doute faire couler beaucoup d'encre et susciter de nombreuses et ardues discussions. Mais ces travaux ont fait (re)prendre conscience que l'anglais, le français, le suédois ou le farsi ont la même origine. Un message que nous susurrent à l'oreille, depuis longtemps, nos ancêtres et qui pourrait, par-delà les frontières, nous être de quelque utilité.