dimanche 19 mai 2013

Les murailles de feu (Steven Pressfield)

C'est à une plongée dans l'histoire antique que je vous invite aujourd'hui. Oublions les très soporifiques « Mémoires d'Hadrien », roman historique de la célèbre Marguerite Yourcenar, et intéressons-nous plutôt à un auteur américain, Steven Pressfield. La Grèce antique plutôt que la Rome antique.
Vous connaissez probablement le film « 300 », adaptation cinématographique réussie (même si l'on peut regretter le côté kitsch se dégageant des acteurs bodybuildés, et un manichéisme un peu poussif) de la non moins réussie BD de Frank Miller. Mais connaissez vous le roman de Steven Pressfield qui relate lui aussi la célèbre bataille des Thermopyles  ?
Si vous avez aimé le film ou la BD, si vous souhaitez approfondir l'univers des spartiates tout en vous divertissant, je ne peux que vous conseiller « Les murailles de feu ».
Certains passages ne font pas dans la finesse littéraire, certes, mais l'histoire reste passionnante et instructive. Savez-vous, par exemple, pourquoi un Lambda figure sur les boucliers spartiates? Savez-vous quel âge avait Léonidas lorsqu'il combattit aux Thermopyles ? Connaissez-vous la condition sine qua non qu'il fallait remplir pour avoir l'honneur d'être sélectionné parmi les 300 ? Tout cela, et beaucoup d'autres choses encore, vous l'apprendrez en lisant ce roman. Les personnages sont plus nombreux que dans le film, leur personnalité plus complexe, et les ennemis moins « grotesques ». L'auteur, qui a été fait citoyen d'honneur de la ville de Sparte, parvient à nous tenir en haleine tout au long du roman et à nous faire ressentir ce qu'ont pu ressentir les guerriers spartiates au cours de leurs combats. Pas de super-héros hollywoodiens ici, mais des êtres de chair et de sang.

Le livre (473 pages. Editions Archioche), est découpé ainsi (chacun de ces titres est le nom d'un des personnages principaux du roman, excepté le dernier qui est bien sûr le nom de la bataille) :

Livre premier : Xerxès
Livre deuxième : Alexandros
Livre troisième : Le Coq
Livre quatrième : Aretê
Livre cinquième : Polynice
Livre sixième : Dienekès
Livre septième : Léonidas
Livre huitième : Les Thermopyles


En 480 avant notre ère, les armées de l'empire perse, conduites par le roi Xerxès et rassemblant selon l'historien Hérodote deux millions d'hommes, traversèrent l'Hellespont, c'est-à-dire l'actuel détroit des Dardanelles, afin d'envahir et asservir la Grèce.
Dans un effort désespéré pour ralentir leur avance, une unité d'élite de trois cents Spartiates fut dépêchée au défilé des Thermopyles ; serré entre terre et mer, ce passage était si étroit que les Perses et leur cavalerie pourraient y être au moins ralenties. Là, espéra-t-on, une escouade d'hommes prêts à sacrifier leur vie pourrait retarder les envahisseurs au moins quelques jours.
En effet, trois cents Spartiates et leurs alliés y retinrent les envahisseurs pendant sept jours. Puis, leurs armes brisées, décimés, ils furent contraints de se battre "avec leurs dents et leurs mains nues", selon Hérodote, avant d'être enfin vaincus.
Les Spartiates et leurs alliés béotiens de Thespies moururent jusqu'au dernier, mais le modèle de courage que constitua leur sacrifice incita les Grecs à s' unir. Au printemps et à l'automne de cette année-là, leur coalition défit les Perses à Salamine et à Platée. Ainsi furent préservées les ébauches de la démocratie et de la liberté occidentale.
Deux mémoriaux se dressent aujourd'hui aux Thermopyles. L'un, moderne, appelé "monument à Léonidas", en l'honneur du roi spartiate qui mourut là, porte gravée sa réponse à Xerxes qui lui ordonnait de déposer les armes. Réponse laconique : Molon labe ("viens les prendre").
L'autre, ancien, est une simple stèle qui porte également gravée les paroles du poète Simonide :

Passant, va dire aux Spartiates
Que nous gisons ici pour obéir à leurs lois.


Hérodote écrit dans ses Histoires : "Tout le corps des spartiates et des Thespiens fit preuve d'un courage extraordinaire, mais le plus brave de tous fut de l'avis général le Spartiate Dienekès. On rapporte que, à la veille de la bataille, un habitant de Trachis lui déclara que les archers perses étaient si nombreux que, lorsqu'ils décrochaient leurs flèches, le soleil en était obscurci. "Bien, répondit Dienekès, nous nous battrons donc à l'ombre.".




Extrait 1. [Polynice, un des meilleurs commandants spartiates, interroge le jeune Alexandros]
- Tu voulais voir la guerre, reprit Polynice. Comment avais-tu imaginé que ce serait ?
Alexandros était requis de répondre avec une parfaite brièveté, à la spartiate. Devant le carnage, ses yeux avait été frappés d'horreur et son cœur d'affliction, lui dit-on ; mais alors, à quoi croyait-il que servait une lance ? Un bouclier ? Une épée ? Ces questions et d'autres lui furent posées sans cruauté ni sarcasme, ce qui eût été facile à endurer, mais de manière froide et rationnelle, exigeant une réponse concise. Il fut prié de décrire les blessures que pouvaient causer une lance et le type de mort qui s'en suivrait. Une attaque de haut devait-elle viser la gorge ou la poitrine ? Si le tendon de l'ennemi était sectionné, fallait-il s'arrêter pour l'achever ou bien aller de l'avant ? Si l'on enfonçait une lance dans le pubis, au-dessus des testicules, fallait-il la retirer tout droit ou bien prolonger l'estocade vers le haut, pour éviscérer l'homme ? Alexandros rougit, sa voix trembla et se brisa.
- Veux-tu que nous nous interrompions, mon garçon ? Cette instruction est-elle trop rude pour toi ? Réponds de manière brève. Peux-tu imaginer un monde où la guerre n'existe pas ? Peux-tu espérer de la clémence d'un ennemi ? Décris les conditions dans lesquelles Lacédémone se trouverait sans armée pour la défendre. Qu'est-ce qui vaut mieux, la victoire ou la défaite ? Gouverner ou être gouverné ? Faire une veuve de l'épouse de l'ennemi ou bien de sa propre femme ? Quelle est la suprême qualité d'un homme ? Pourquoi ? Qui admires-tu le plus dans toute la cité ? Et pourquoi ? Définis le mot « miséricorde ». Définis le mot « compassion ». Sont-ce là des vertus pour le temps de guerre ou le temps de paix ? Sont-ce des vertus masculines ou féminines ? Et sont-ce bien des vertus ?
De tous les pairs qui harcelaient Alexandros ce soir-là, Polynice n'apparaissait guère comme le plus acharné ni comme le plus sévère. Ce n'était pas lui qui menait l' arosis et ses questions n'était ni franchement cruelles, ni malicieuses. Il ne lui laissait tout simplement pas de répit. Dans les voix des autres, aussi pressantes que fussent leurs questions, résonnait tacitement l'inclusion : Alexandros était l'un des leurs et ce qu'ils faisaient ce soir-là et feraient d'autres soirs ne visait pas à le décourager ni à l'écraser comme un esclave, mais à l'endurcir, à fortifier sa volonté, à le rendre plus digne d'être un jour appelé guerrier, comme eux, et à assumer son rang de pair et de Spartiate.

Extrait 2. [L'armée perse s'avance, pour le premier affrontement]
Léonidas avait maintes fois recommandé aux officiers thespiens de veiller à ce que les boucliers, les jambières et les casques de leurs hommes fussent aussi brillants que possible ; et là, c'était des miroirs. Par-dessus les bords des boucliers de bronze, les casques rutilaient, surmontés par des crinières de queue de cheval qui, lorsqu'elles frissonnaient au vent, ne créaient pas seulement une impression de haute taille, mais dégageaient aussi une indicible menace.
Ce qui ajoutait au spectacle terrifiant de la phalange hellénique et qui pour moi était le plus effrayant, c'étaient les masques sans expression des casques grecs, avec leurs nasales épaisses comme le pouce, les jugulaires écartées et les fentes sinistres des yeux, qui recouvraient tout le visage et donnaient à l'ennemi le sentiment qu'il affrontait, non pas des créatures de chair comme lui-même, mais quelque atroce machine, invulnérable, impitoyable. J'en avais ri avec Alexandros moins de deux heures auparavant, quand il avait posé son casque sur son bonnet de feutre ; l'instant d'avant, avec le casque posé posé à l'arrière du crâne, il paraissait juvénile et charmant, et puis quand il eut rebattu la jugulaire et ajusté le masque, toute l'humanité du visage était partie. La douceur expressive des yeux avait été remplacée par deux insondables trous noirs dans les orbites de bronze. L'aspect du personnage avait changé. Plus de compassion. Rien que le masque aveugle du meurtre.
- Enlève-le ! Avais-je crié. Tu me fais peur !
Et je ne plaisantais pas.
Dienekès vérifiait à ce moment-là l'effet des armures hellènes sur l'ennemi. Il parcourait leurs rangs du regard. Les taches sombres de l'urine maculaient plus d'un pantalon, ça et là, les pointes de lances tremblaient. Les Mèdes se mirent en formation, les rangs trouvèrent leurs marques, les commandants prirent leurs postes.
Le temps s'étira encore. L'ennui le céda à l'angoisse. Les nerfs se tendirent. Le sang battait aux tempes. Les mains devinrent gourdes et les membres insensibles. Le corps sembla tripler de poids et se changer en pierre froide. On s'entendait implorer les dieux sans savoir si c'étaient des voix intérieures ou si on criait réellement et sans vergogne des prières.
Sa majesté se trouvait sans doute trop haut sur la montagne pour s'être avisée du coup du ciel qui précipita l'affrontement. Tout d'un coup, un lièvre dévala la montagne, passant entre les deux armées, à une trentaine de pieds de Xénocratide, le commandant thespien.


ATTENTION : grosse « boulette » sur la couverture du livre ci-dessus : il manque un zéro ! La bataille des Thermopyles s'est déroulée en 480 av JC, et non pas en 48 av JC...


Avide de conquêtes et de revanche sur l'ennemi héréditaire, le roi Xerxes, à la tête de deux cent mille Perses, traverse l'Hellespont et marche sur Athènes, écrasant tout sur son passage. Ceux que l'on appelle les immortels seraient-ils réellement invincibles?
A Sparte, la nouvelles de cette invasion répand la terreur. Le roi Léonidas Ier rassemble ses plus vaillants hoplites et se porte au-devant de l'adversaire. Mais comment trois cents hommes aguerris stopperaient-ils une armée?
L'affrontement a lieu dans le défilé des Thermopyles. Six jours durant, sous le regard des dieux, cet étroit passage sera le théâtre de combats sans merci.
Raconté par un survivant, c'est ce choc inégal _et, au-delà, toute l'histoire de la vie quotidienne de Sparte _ que ressuscite Steven Pressfield dans ce "roman foisonnant qui fait revivre avec éclat une civilisation disparue" (The New Yorker).





A noter :
une « suite » au film « 300 » était prévue pour le mois d'août 2013, dont voici le synopsis :

En l'an 490 avant J.C., les troupes athéniennes doivent contrer les attaques de l'empire Perse. Une grande bataille se prépare. Non loin d'Athènes, à 42 km au nord, Marathon est l'un des derniers remparts protégeant la grande Athènes. Les Perses sont nombreux, beaucoup plus nombreux que les Athéniens, qui vont devoir faire appel aux Spartiates pour les aider.

Et l'affiche :


Mais il faudra patienter, puisque la sortie de "300 : naissance d'un empire" a été repoussée par la Warner au mois de mars 2014.