Ce petit livre est un
portrait de la jeunesse russe des années soviétiques. Libérée de
tous les tabous, heureuse, dynamique, bâtissant dans l'enthousiasme
un nouveau monde – telle est l'image qu'en donnait la propagande,
telle est l'image dans nos mémoires. En trois tableaux, en trois
nouvelles (« Nos jeunes », « Nastenka », « La
confiture d'abricots »), Soljénitsyne montre l'envers du
décors.
En peu de pages, on
apprend beaucoup de choses sur la vie quotidienne russe des années
qui suivirent le révolution de 1917. Il peut être intéressant de
comparer certains traits de société de notre France contemporaine
avec les récits de Soljenitsyne. Par exemple, les consignes
d'indulgence données aux professeurs notant les copies du
baccalauréat 2013 - se soldant par des taux de réussite records !-
ne sont pas sans rappeler les consignes données par le pouvoir
soviétique au professeur Anatoli P dans le récit « Nos
jeunes ».
On regrettera que la
traduction française de l'oeuvre de Soljénitsyne ne soit pas des
plus élégantes.
Je vous propose ci-dessous
- un résumé presque complet de la nouvelle « Les jeunes ». (je n'écris pas la fin pour ne pas gâcher le plaisir de ceux qui se plongeront dans le livre)
- la vidéo d'un entretien entre Alexandre Soljenitsyne et Alexandre Sokourov
- un résumé presque complet de la nouvelle « Les jeunes ». (je n'écris pas la fin pour ne pas gâcher le plaisir de ceux qui se plongeront dans le livre)
- la vidéo d'un entretien entre Alexandre Soljenitsyne et Alexandre Sokourov
NOS JEUNES
Partie 1
Anatole P , ingénieur et
maître de conférence à la Faculté de construction des ponts, fait
passer un oral consacré à « la résistance des matériaux »
à ses élèves. L'un d'eux, nommé Konopliov, provient de la Faculté
ouvrière, après avoir travaillé comme étameur. Étudiant
médiocre, il n'est pas parvenu à suivre le programme universitaire
et se trouve en grande difficulté au cours de l'oral.
Anatole P ne peut
logiquement que lui donner l'appréciation « non
satisfaisant ». Mais le voilà soumis à un dilemme.
D'un côté, Konopliov
implore sa clémence, craignant qu'on lui réduise sa bourse et que
le Komsomol (organisation de la
jeunesse communiste du Parti communiste de l'Union soviétique fondée
en 1918) soit après lui. En outre, les autorités recommandent
aux professeurs de se montrer moins exigeants avec cette catégorie
d'étudiants ; cela s'inscrit dans une politique destinée à
faire accéder les masses au savoir.
D'un autre côté, Anatole
P a une profonde conscience professionnelle. On ne peut tout même
pas aller jusqu'à l'absurde. Comment mettre « satisfaisant »
à quelqu'un qui ne sait strictement rien ? Il serait insensé
que ce garçon devienne ingénieur en ignorant tout de la résistance
des matériaux.
Konopliov le supplie,
encore et encore, tant et si bien qu'Anatole P lui accorde un
« Satisfaisant ». Après tout, c'est ce que veulent les
autorités.
La journée terminée,
Anatole P, regagne son domicile. Sur le trajet de retour, il observe
dans le tramway à quel point l'allure générale des gens, y compris
des professeurs, s'est simplifiée. Lui porte un complet modeste et
loin d'être neuf, mais tout de même avec col blanc et cravate.
Arrivé à la maison,
Liolenka, sa fille lui prépare un repas. Elle est très bonne élève,
Liolenka. Sa voie toute tracée semble être l'institut où enseigne
son père.
Mais un décret datant de
quatre ans, de 1922, impose un filtrage à l'entrée : nombre
d'admissions limité pour les non prolétaires et obligation pour les
diplômés n'appartenant pas au parti ou au Komsomol de produire un
certificat de loyalisme politique.
C'est pourquoi Anatole
prévient sa fille : « malgré tout, Liolenka, tu ne
pourras pas te dispenser du Komsomol, pour ne pas risquer l'échec. »
Pendant ce temps,
Konopliov, l'étudiant médiocre débarrassé de la résistance des
matériaux, met un pied dans le Parti. Il assiste, à la Maison de la
culture du Soviet de rayon, à une conférence intitulée « notre
jeunesse devant les tâches qui l'attendent ».
Partie 2
En 1928, déjà, l'
« Affaire de Chakhty », près de Rostov, avait fortement
effrayé les ingénieurs locaux. De mai à juillet se déroula le
premier grand procès collectif (53 accusés) d'ingénieurs accusés
de « nuisance » (le terme lui-même apparut au cours de
ce procès).
Et ensuite, c'est dans la
ville même de Rostov que les gens avaient commencé à disparaître.
En 1930, la condamnation à
mort de 48 « nuiseurs qui sabotaient le ravitaillement de la
population en produits alimentaires » roula comme le tonnerre à
travers le pays.
En novembre, toute la
corporation des ingénieurs fut accusée de nuisance. Des formules à
glacer le sang déferlèrent, à nouveau, dans les journaux :
« nettoyons le pays de ces traîtres avec un balai de fer ! ».
Jour après jour, la même
oppression, les mêmes ténèbres dans la poitrine.
Qu'avaient-ils pourtant à
se reprocher, les ingénieurs ? Depuis l'instauration du régime
soviétique, ils avaient toujours travaillé avec enthousiasme, avec
inventivité, avec foi.
Deux mois à peine après
le procès, on vint chercher une nuit Anatole P.
Dialogue avec Soljenitsyne
(extrait du film d'Alexandre Sokourov, "Dialogues avec Soljenitsyne)