lundi 26 août 2013

Nos jeunes (Alexandre Soljenitsyne)

Ce petit livre est un portrait de la jeunesse russe des années soviétiques. Libérée de tous les tabous, heureuse, dynamique, bâtissant dans l'enthousiasme un nouveau monde – telle est l'image qu'en donnait la propagande, telle est l'image dans nos mémoires. En trois tableaux, en trois nouvelles (« Nos jeunes », « Nastenka », « La confiture d'abricots »), Soljénitsyne montre l'envers du décors.

En peu de pages, on apprend beaucoup de choses sur la vie quotidienne russe des années qui suivirent le révolution de 1917. Il peut être intéressant de comparer certains traits de société de notre France contemporaine avec les récits de Soljenitsyne. Par exemple, les consignes d'indulgence données aux professeurs notant les copies du baccalauréat 2013 - se soldant par des taux de réussite records !- ne sont pas sans rappeler les consignes données par le pouvoir soviétique au professeur Anatoli P dans le récit « Nos jeunes ».
On regrettera que la traduction française de l'oeuvre de Soljénitsyne ne soit pas des plus élégantes.

Je vous propose ci-dessous 
- un résumé presque complet de la nouvelle « Les jeunes ». (je n'écris pas la fin pour ne pas gâcher le plaisir de ceux qui se plongeront dans le livre)
- la vidéo d'un entretien entre Alexandre Soljenitsyne et Alexandre Sokourov






NOS JEUNES

Partie 1

Anatole P , ingénieur et maître de conférence à la Faculté de construction des ponts, fait passer un oral consacré à « la résistance des matériaux » à ses élèves. L'un d'eux, nommé Konopliov, provient de la Faculté ouvrière, après avoir travaillé comme étameur. Étudiant médiocre, il n'est pas parvenu à suivre le programme universitaire et se trouve en grande difficulté au cours de l'oral.
Anatole P ne peut logiquement que lui donner l'appréciation « non satisfaisant ». Mais le voilà soumis à un dilemme.
D'un côté, Konopliov implore sa clémence, craignant qu'on lui réduise sa bourse et que le Komsomol (organisation de la jeunesse communiste du Parti communiste de l'Union soviétique fondée en 1918) soit après lui. En outre, les autorités recommandent aux professeurs de se montrer moins exigeants avec cette catégorie d'étudiants ; cela s'inscrit dans une politique destinée à faire accéder les masses au savoir.
D'un autre côté, Anatole P a une profonde conscience professionnelle. On ne peut tout même pas aller jusqu'à l'absurde. Comment mettre « satisfaisant » à quelqu'un qui ne sait strictement rien ? Il serait insensé que ce garçon devienne ingénieur en ignorant tout de la résistance des matériaux.
Konopliov le supplie, encore et encore, tant et si bien qu'Anatole P lui accorde un « Satisfaisant ». Après tout, c'est ce que veulent les autorités.

La journée terminée, Anatole P, regagne son domicile. Sur le trajet de retour, il observe dans le tramway à quel point l'allure générale des gens, y compris des professeurs, s'est simplifiée. Lui porte un complet modeste et loin d'être neuf, mais tout de même avec col blanc et cravate.

Arrivé à la maison, Liolenka, sa fille lui prépare un repas. Elle est très bonne élève, Liolenka. Sa voie toute tracée semble être l'institut où enseigne son père.
Mais un décret datant de quatre ans, de 1922, impose un filtrage à l'entrée : nombre d'admissions limité pour les non prolétaires et obligation pour les diplômés n'appartenant pas au parti ou au Komsomol de produire un certificat de loyalisme politique.
C'est pourquoi Anatole prévient sa fille : « malgré tout, Liolenka, tu ne pourras pas te dispenser du Komsomol, pour ne pas risquer l'échec. »

Pendant ce temps, Konopliov, l'étudiant médiocre débarrassé de la résistance des matériaux, met un pied dans le Parti. Il assiste, à la Maison de la culture du Soviet de rayon, à une conférence intitulée « notre jeunesse devant les tâches qui l'attendent ».


Partie 2

En 1928, déjà, l' « Affaire de Chakhty », près de Rostov, avait fortement effrayé les ingénieurs locaux. De mai à juillet se déroula le premier grand procès collectif (53 accusés) d'ingénieurs accusés de « nuisance » (le terme lui-même apparut au cours de ce procès).
Et ensuite, c'est dans la ville même de Rostov que les gens avaient commencé à disparaître.
En 1930, la condamnation à mort de 48 « nuiseurs qui sabotaient le ravitaillement de la population en produits alimentaires » roula comme le tonnerre à travers le pays.
En novembre, toute la corporation des ingénieurs fut accusée de nuisance. Des formules à glacer le sang déferlèrent, à nouveau, dans les journaux : « nettoyons le pays de ces traîtres avec un balai de fer ! ».
Jour après jour, la même oppression, les mêmes ténèbres dans la poitrine.
Qu'avaient-ils pourtant à se reprocher, les ingénieurs ? Depuis l'instauration du régime soviétique, ils avaient toujours travaillé avec enthousiasme, avec inventivité, avec foi.
Deux mois à peine après le procès, on vint chercher une nuit Anatole P.







Dialogue avec Soljenitsyne 
(extrait du film d'Alexandre Sokourov, "Dialogues avec Soljenitsyne)