vendredi 7 mars 2014

La morte amoureuse (Théophile Gautier). XIXe s

La morte amoureuse (1836)

Contexte
Le XIXe siècle = siècle du mouvement romantique ; essor des sciences. Apparition du genre fantastique. Pour ce genre, la nouvelle est privilégiée (Gautier, Poe, Maupassant, Kipling, Lovecraft...), sa forme brève et peu contraignante permettant de ne pas se perdre dans des détails qui altèreraient l'évènement fantastique.
Le genre « fantastique » se caractérise par une hésitation entre le rationnel et le surnaturel. Ainsi, dans La Morte amoureuse, Romuald s'interroge sur la réalité de ce qu'il vit : « ce sont des événements si étranges que je ne puis croire qu'ils me soient arrivés ». L'une des figures les plus prisées du genre est la figure du vampire. Il arrive que le vampire soit une femme, comme ici dans La Morte amoureuse. L'arme de la femme vampire n'est pas la force physique mais la séduction et la sensualité. C'est de « vampire » que provient le terme « vamp » (apparu aux Etats-Unis en 1918) désignant la femme fatale, dangereuse séductrice, des romans et films noirs américains.


Les personnages
Clarimonde : courtisane attirée par Romuald. Problème  : Romuald est prêtre, Clarimonde est vampire. L'aime-t-elle vraiment ou le considère-t-elle comme une proie ?
Romuald : jeune prêtre fasciné par la beauté de Clarimonde. Où le mènera cette passion interdite ?
L'abbé Sérapion : il a de l'expérience, et a clairement vu l'attirance de Romuald pour Clarimonde qu'il déteste. Il met en garde Romuald. Que va-t-il faire pour empêcher Romuald de succomber à Clarimonde ?



Extraits

Un prêtre de 70 ans, Romuald (le narrateur), commence à raconter son histoire à un autre prêtre :
« Le jour, j'étais un prêtre du seigneur, chaste, occupé par la prière et les choses saintes ; la nuit, dès que j'avais fermé les yeux, je devenais un jeune seigneur, fin connaisseur en femmes, en chiens et en chevaux, jouant aux dés, buvant et blasphémant »


La belle Clarimonde apparaît aux yeux de Romuald lors de la cérémonie d'entrée dans la prêtrise :
« Ce fut comme si des écailles me tombaient des prunelles. J'éprouvai la sensation d'un aveugle qui recouvrerait subitement la vue (…). La charmante créature se détachait sur ce fond d'ombre comme une révélation angélique ; elle semblait éclairée d'elle-même et donner le jour plutôt que le recevoir. (…) Oh ! Comme elle était belle (…) ses cheveux, d'un blond doux, se séparaient sur le haut de sa tête et coulaient sur ses tempes comme deux fleuves d'or (…) son front, d'une blancheur bleuâtre et transparente... »

Une nuit, un homme frappe à la porte du presbytère. Sa maîtresse se trouve à l'article de la mort. Il demande à Romuald, en tant que prêtre, de l'accompagner, pour l'extrême-onction. S'en suit une chevauchée fantastique vers la demeure de la mourante (le château de Clarimonde). Le lecteur dans ce passage hésite entre le surnaturel et le réel. Tout devient étrange. Les montures sont inquiétantes et puissantes (tout comme le cadre naturel : forêt, animaux...). Remarquer la richesse du champ lexical lié aux sons et aux couleurs [Théophile Gauthier voulait être peintre. Cela se ressent dans ses descriptions], et les métaphores.
« A la porte piaffaient d'impatience deux chevaux noirs comme la nuit, et soufflant sur leur poitrail deux longs flots de fumée. (…) Son cheval partit comme la flèche. Le mien, dont il tenait la bride, prit aussi le galop et se maintint dans une égalité parfaite. Nous dévorions le chemin ; la terre filait sous nous, grise et rayée, et les silhouettes noires des arbres s'enfuyaient comme une armée en déroute. Nous traversâmes une forêt d'un sombre si opaque et si glacial (…) Les aigrettes d'étincelles que les fers de nos chevaux arrachaient aux cailloux laissaient sur notre passage comme une traînée de feu, et si quelqu'un, à cette heure de la nuit, nous eût vus, mon conducteur et moi, il nous eût pris pour deux spectres à cheval sur le cauchemar. Deux feux follets traversaient de temps en temps le chemin, et les choucas piaulaient piteusement dans l'épaisseur du bois, où brillaient de loin en loin les yeux phosphoriques de quelques chats sauvages. La crinière des chevaux s'échevelait de plus en plus, la sueur ruisselait sur leurs flancs, et leur haleine sortait bruyante et pressée de leurs narines. Mais, quand il les voyait faiblir, l'écuyer pour les ranimer poussait une cri guttural qui n'avait rien d'humain, et la course reprenait avec furie. ».








Remarque
- Le thème du vampire a inspiré de nombreux auteurs dans le domaine littéraire et cinématographique, comme Goethe (La Fiancée de Corinthe, 1797), Baudelaire (Les métamorphoses du vampire, 1857. Pièce condamnée des Fleurs du Mal. Baudelaire dut retirer ce poème jugé immoral et obscène par la censure...), Bram Stoker, ou plus récemment John Ajvide Lindquist... mais aussi des peintres (Much par exemple)
- Filmographie sélective : Nosferatu le Vampire (Murnau, 1922), Vampyr (Dreyer, 1932), L'aventure de Mme Muir (Mankiewicz, 1947), Le Cauchemar de Dracula (Fisher, 1958), Les lèvres rouges (Kümel, 1971),  Nosferatu fantôme de la nuit (Herzog, 1979), Entretien avec un vampire (Jordan, 1994), Les noces funèbres (Burton, 2005), Morse (Alfredson, 2008).
- Un petit quizz sur le thème du fantastique en peinture : ici




Delphine Seyrig, dans le film Les Lèvres rouges (1971). Personnage inspiré de l'histoire de la comtesse Erzsébet Báthory