La morte
amoureuse (1836)
Contexte
Le XIXe siècle = siècle
du mouvement romantique ; essor des sciences. Apparition du
genre fantastique. Pour ce genre, la nouvelle est privilégiée
(Gautier, Poe, Maupassant, Kipling, Lovecraft...), sa forme brève et
peu contraignante permettant de ne pas se perdre dans des détails
qui altèreraient l'évènement fantastique.
Le genre « fantastique »
se caractérise par une hésitation entre le rationnel et le
surnaturel. Ainsi, dans La Morte amoureuse, Romuald
s'interroge sur la réalité de ce qu'il vit : « ce sont
des événements si étranges que je ne puis croire qu'ils me soient
arrivés ». L'une des figures les plus prisées du genre est la
figure du vampire. Il arrive que le vampire soit une femme, comme ici
dans La Morte amoureuse. L'arme de la femme vampire n'est pas
la force physique mais la séduction et la sensualité. C'est de
« vampire » que provient le terme « vamp »
(apparu aux Etats-Unis en 1918) désignant la femme fatale,
dangereuse séductrice, des romans et films noirs américains.
Les personnages
Clarimonde :
courtisane attirée par Romuald. Problème : Romuald est
prêtre, Clarimonde est vampire. L'aime-t-elle vraiment ou le
considère-t-elle comme une proie ?
Romuald :
jeune prêtre fasciné par la beauté de Clarimonde. Où le mènera
cette passion interdite ?
L'abbé Sérapion :
il a de l'expérience, et a clairement vu l'attirance de Romuald pour
Clarimonde qu'il déteste. Il met en garde Romuald. Que va-t-il faire
pour empêcher Romuald de succomber à Clarimonde ?
Extraits
Un prêtre de 70 ans,
Romuald (le narrateur),
commence à raconter son histoire à un autre prêtre :
« Le
jour, j'étais un prêtre du seigneur, chaste, occupé par la prière
et les choses saintes ; la nuit, dès que j'avais fermé les
yeux, je devenais un jeune seigneur, fin connaisseur en femmes, en
chiens et en chevaux, jouant aux dés, buvant et blasphémant »
La belle Clarimonde
apparaît aux yeux de Romuald
lors de la cérémonie d'entrée dans la prêtrise :
« Ce
fut comme si des écailles me tombaient des prunelles. J'éprouvai la
sensation d'un aveugle qui recouvrerait subitement la vue (…). La
charmante créature se détachait sur ce fond d'ombre comme une
révélation angélique ; elle semblait éclairée d'elle-même
et donner le jour plutôt que le recevoir. (…) Oh ! Comme elle
était belle (…) ses cheveux, d'un blond doux, se séparaient sur
le haut de sa tête et coulaient sur ses tempes comme deux fleuves
d'or (…) son front, d'une blancheur bleuâtre et transparente... »
Une
nuit, un homme frappe à la porte du presbytère. Sa maîtresse se
trouve à l'article de la mort. Il demande à Romuald, en tant que
prêtre, de l'accompagner, pour l'extrême-onction. S'en suit une
chevauchée fantastique vers
la demeure de la mourante (le château de Clarimonde). Le
lecteur dans ce passage hésite entre le surnaturel et le réel. Tout
devient étrange. Les montures sont inquiétantes et puissantes (tout
comme le cadre naturel : forêt, animaux...). Remarquer la
richesse du champ lexical lié aux sons et aux couleurs [Théophile
Gauthier voulait être peintre. Cela se ressent dans ses
descriptions], et les métaphores.
« A
la porte piaffaient d'impatience deux chevaux noirs comme la nuit, et
soufflant sur leur poitrail deux longs flots de fumée. (…) Son
cheval partit comme la flèche. Le mien, dont il tenait la bride,
prit aussi le galop et se maintint dans une égalité parfaite. Nous
dévorions le chemin ; la terre filait sous nous, grise et
rayée, et les silhouettes noires des arbres s'enfuyaient comme une
armée en déroute. Nous traversâmes une forêt d'un sombre si
opaque et si glacial (…) Les aigrettes d'étincelles que les fers
de nos chevaux arrachaient aux cailloux laissaient sur notre passage
comme une traînée de feu, et si quelqu'un, à cette heure de la
nuit, nous eût vus, mon conducteur et moi, il nous eût pris pour
deux spectres à cheval sur le cauchemar. Deux feux follets
traversaient de temps en temps le chemin, et les choucas piaulaient
piteusement dans l'épaisseur du bois, où brillaient de loin en loin
les yeux phosphoriques de quelques chats sauvages. La crinière des
chevaux s'échevelait de plus en plus, la sueur ruisselait sur leurs
flancs, et leur haleine sortait bruyante et pressée de leurs
narines. Mais, quand il les voyait faiblir, l'écuyer pour les
ranimer poussait une cri guttural qui n'avait rien d'humain, et la
course reprenait avec furie. ».
Remarque
- Le thème du vampire a inspiré de
nombreux auteurs dans le domaine littéraire et cinématographique,
comme Goethe (La Fiancée de Corinthe, 1797), Baudelaire (Les
métamorphoses du vampire, 1857. Pièce condamnée des Fleurs
du Mal. Baudelaire dut retirer ce poème jugé immoral et obscène
par la censure...), Bram Stoker, ou plus récemment John
Ajvide Lindquist... mais aussi des peintres (Much par exemple)
- Filmographie sélective : Nosferatu le Vampire (Murnau, 1922), Vampyr (Dreyer, 1932), L'aventure de Mme Muir (Mankiewicz, 1947), Le Cauchemar de Dracula (Fisher, 1958), Les lèvres rouges (Kümel, 1971), Nosferatu fantôme de la nuit (Herzog, 1979), Entretien avec un vampire (Jordan, 1994), Les noces funèbres (Burton, 2005), Morse (Alfredson, 2008).
- Un petit quizz sur le thème du fantastique en peinture : ici
Delphine Seyrig, dans le film Les Lèvres rouges (1971). Personnage inspiré de l'histoire de la comtesse Erzsébet Báthory