jeudi 24 janvier 2013

Comment massacrer efficacement une maison de campagne en dix-huit leçons (Renaud Camus)


« ...Efficacement, et, dirais-je, économiquement (de préférence) – car ce serait une erreur de croire qu'il est indispensable de dépenser des fortunes pour obtenir, à partir d'une jolie maison de campagne en plus ou moins bon état, une authentique horreur qui puisse figurer honorablement, sans contestation possible, parmi les monstruosités les plus remarquables du paysage français. »


Dès les premières lignes, Renaud Camus donne le ton de cet ouvrage à la fois polémique et teinté d'une bonne dose d'humour. De l'ajout d'une véranda à la suppression des crépis, sans oublier l'achat des meubles de jardin en matière plastique, il nous délivre, en dix-huit leçons, tous les secrets et astuces pour rendre « méconnaissable, hideuse, cauchemardesque […] une maison proprement délicieuse ». Que l'on soit riche ou désargenté, le massacre de maison de campagne est une activité où tout le monde a les mêmes chances de réussite. Il suffit pour cela de faire preuve d'une « ingéniosité toute joueuse, d'esprit d'invention dans le gâchis et de sûreté dans le mauvais goût »...

Voici les dix-huit leçons, à l'usage des heureux propriétaires souhaitant massacrer au mieux leur maison de campagne :
1 Retirez les crépis
2 Modifiez les ouvertures
3 Élargissez les fenêtres
4 Modifiez les fermetures
5 Mettez des volets
6 Enlevez les volets
7 Lobotomisez
8 Tchernobylisez
9 Institutionnalisez le provisoire
10 Rusticisez
11 Ajoutez une piscine
12 Mettez des meubles de jardin en matière plastique
13 Ajoutez des balustrades
14 Ajoutez une véranda
15 Ajoutez un garage
16 Ajoutez un portail
17 Faites un parc paysager
18 Sonorisez



Extraits :


Je serais bien en peine de définir la maison de campagne, mais je crois pouvoir dire que, d'après les connotations qu'exsude l'expression, la maison moderne n'est pas pas, « disons », « au cœur du concept ». D'après les premières images qui viennent à l'esprit quand on prononce ces mots-là, une maison de campagne est ancienne, voilà. Mieux, elle est aimée pour son ancienneté. Son âge lui donne du prix, de la valeur, du style. Son âge, sans être tout son style, en est une composante capitale. Je pose qu'il y a nécessairement quelque chose de conservatoire – nous n'irons pas jusqu'à conservateur, mais il ne faudrait pas trop nous pousser – dans l'achat, dans l'entretien, dans l'amour d'une maison de campagne. Elle est un lieu de retraite, provisoire ou définitive, et de ressourcement.
(extrait de la deuxième leçon)


Il faut dire un mot de la commodité. La commodité, qualité éminente du meuble de jardin en matière plastique, mais aussi des baies coulissantes, des garages, des antennes paraboliques ou des stores électriques, est une préciosissime alliée dans toute entreprise un tantinet conséquente de gâchis d'édifice ou de propriété. Sa grande force, c'est qu'on ne peut rien lui trouver décemment à redire. Elle n'a de rival heureux, en la matière, que l'emploi. La commodité est au massacre de maisons de campagne ce que la question de l'emploi est au massacre de paysage. Vous massacre un paysage à vingt kilomètres à la ronde, avec votre dépôt d'hypermarché ou votre station d'épuration : reconnaissez-le fièrement, mais dites que ce que vous faites est « bon pour l'emploi ». Personne n'osera dire un mot, on vous félicitera, tout ce que vous risquez, au pire, est la Légion d'honneur. Dans l'aventure plus intime du massacre de maison de campagne, répondez à la moindre objection, ne provînt-elle que de vous-même, de votre conscience, de cette petite faiblesse secrète et obstinée, en vous, pour la beauté, que ce que vous faites va beaucoup accroître la commodité de votre mode d'habitation. Vous verrez, c'est très apaisant.
(extrait de la douzième leçon)


Tout le monde sait bien que la première chose à faire, quand on veut massacrer une maison de campagne, c'est de lui ajouter un garage. C'est encore plus élémentaire que le coup de la piscine.
Disons seulement qu'il y a des degrés. Tous les massacreurs par voie de garage ne peuvent pas être mis dans le même sac. Ceux qui, par exemple, se contentent de mettre leur voiture dans une ancienne grange ou dans une écurie désaffectée n'ont aucun mérite, et ils ne gagnent aucun point à notre petit jeu de massacre. Ceux qui se font construire un garage aussi loin que possible de la maison elle-même, et l'on ne peut embrasser les deux édifices du même regard, ceux-là non plus n'ont pas le véritable instinct massacreur.
(…)
Dans la perspective enlaidissante (qui est la nôtre, par convention), on choisira donc, au contraire, la visibilité la plus forte.
Certes il y a beau temps qu'il n'y a plus rien à gagner, socialement, à montrer qu'on a un garage, et donc une voiture ; tout le monde ayant une voiture, ou peu s'en faut, la voiture, en soi, et contrairement à la piscine (qui elle-même commence à se fatiguer dans cet emploi), n'est pas un signe extérieur de richesse. Pour constater qu'elle peut l'être néanmoins, il faudrait introduire des critères discriminants, tenant au genre de voiture particulier. Mais ils ne seraient pas pertinents pour nous, puisque nous parlons de garages, pas de voitures ; et que la fonction du garage, théoriquement, est de dissimiler la voiture. Quant à dissimuler le garage, ce peut être en effet, comme de dissimuler la piscine, un signe extérieur de richesse : le signe qu'on ne tient pas à donner de signes, voire qu'on tient à ne pas donner de signes – ce qui bien sûr est encore un signe.
(extrait de la quinzième leçon)




[Renaud Camus, Comment massacrer efficacement une maison de campagne en dix-huit leçons]