mercredi 3 avril 2013

Contre l'Europe de Bruxelles, fonder un État européen (Gérard Dussouy)

 
« Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant "l’Europe !", "l’Europe !", "l’Europe !", mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien. » (Charles de Gaulle, Discours et messages)
La sentence gaullienne a frappé les esprits. Elle a visé juste jusqu’à aujourd’hui. Mais, n’est-ce pas faute d’avoir abandonné notre communauté de destin, l’Europe, aux mains des seuls politiciens et des eurocrates ? 
L’Europe n’appartient-elle pas d’abord aux Européens ? Comment, dans le même temps, peut-on laisser certains expliquer que l’Europe est la cause de tous nos maux alors que l’idée européenne est la solution face à la mondialisation ? 
Des Thermopyles au Traité de Rome, des tranchées de Verdun aux travées du Parlement Européen à Strasbourg, les Européens ont su résister, dépasser leurs querelles, créer, et innover. 


Et si la prochaine innovation était institutionnelle ? 
Et si l’on construisait enfin l’Europe, une autre Europe, notre Europe ? 
Face à la crise, et contre les fauteurs de décadence. 
Naturellement engluée dans un brouillard libéral et mondialiste, l’Europe navigue à vue. 
Face au monde multipolaire qui se dessine, et comme à chaque rendez-vous avec l’Histoire, l’Europe devra choisir entre la puissance ou la mort. 
La mort, c’est subir la crise, accepter le déclin, décourager ses forces vives et laisser fuir sa jeunesse pour ne devenir qu’une ombre de ce que les Américains appellent déjà « la vieille Europe », celle des musées, des maisons de retraite et des souvenirs. 
La puissance, c’est envisager le renouveau, le dépassement des États-Nations, la construction d’un État européen volontariste et pragmatique. Fédéral et régional, afin de respecter et de protéger la diversité culturelle des peuples européens, il se doit d’être en mesure de répondre aux attentes sociales des populations. Fort et puissant afin de promouvoir et de défendre, au delà de toute idéologie, les intérêts matériels et immatériels, les valeurs et les traditions culturelles des Européens, il doit oser rayonner à travers le monde. 

Cri d’alarme et cri du coeur, ce livre appelle à un élan collectif vers un État européen, un Etat d’urgence ! Il est temps que le cabri se fasse loup !





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Gérard DUSSOUY (1945) est Professeur émérite à l’Université Montesquieu de Bordeaux 4, où il reste membre du Centre Montesquieu de Recherche Politique (CMRP).Il a passé plus de quarante ans dans l’Education Nationale, au service de l’Etat français.
Ses travaux portent sur l’épistémologie de la géopolitique et des relations internationales, et sur la théorisation de la mondialité. Sa formation universitaire pluridisciplinaire, d’économiste (doctorat de Spécialité en Sciences économiques) de géographe (agrégation), de politologue (doctorat d’Etat en Science politique), l’a conduit à proposer une reconceptualisation systémique de la géopolitique et des relations internationales. Elle relève de l’épistémologie néo-pragmatiste qui se revendique contextualiste et anti-essentialiste, inter-ethnocentrique et non universaliste, et qui défend une conception stratégiste des valeurs. Elle l’a mené à faire une approche multidimensionnelle et interactionnelle du monde qui rompt avec les analyses catégorielles et positivistes de l’espace universitaire français.
Européen convaincu depuis toujours, mais réticent à tout engagement face au spectacle donné par le personnel politique français, toutes tendances confondues, Gérard Dussouy s’interroge avec inquiétude, aujourd’hui, sur le devenir des nations du vieux continent.
Il a ressenti le besoin de s’exprimer et de lancer un cri d’alarme quant à leur futur proche. Il voudrait convaincre les citoyens lucides de toute l’Europe, et de toutes les nationalités, que la maîtrise de leurs destins respectifs ne passe pas par le rejet de l’Union européenne, mais par leur prise de pouvoir à Bruxelles et par l’édification d’un Etat européen au service des peuples qui voudront le construire. Ce qui exige, dans un premier temps, qu’ils se rassemblent et qu’ils s’organisent.

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Préface du livre, par Dominique VENNER

Quand l’Europe s’éveillera…
En France, pays réputé pour être le plus pessimiste d’Europe, on confond volontiers la souveraineté étatique et l’identité. On pense que les abandons de souveraineté sont des abandons d’identité. Pourtant, rien n’est plus faux. La souveraineté n’est pas l’identité. Les Français sont victimes d’une illusion héritée d’une vision historique déformée. Contrairement à l’Italie qui n’eut jamais d’État unitaire avant 1864, ou à la nation allemande qui s’en est passée pendant six siècles, de 1250 à 1871, la France n’a pas connu de genre d’expérience. Sinon pendant quelques décennies du XVe siècle, l’État unitaire s’y est maintenu sans discontinuer, avec des hauts et des bas, depuis la fin du Moyen Âge. De là une relation causale inscrite dans les esprits français entre souveraineté et identité. C'est même devenu une sorte de dogme, entretenu par l'enseignement jacobin de l'histoire. La nation française serait une création de l'Etat et, privée de ce dernier, elle serait en péril de mort ou de dissolution.

Si cela était, une telle nation ne vaudrait pas cher, ce serait une coquille vide. Mais c'est faux. Certes, personne ne contestera que l'Etat, royal ou républicain, a édifié en France le cadre politique et administratif de la nation. En revanche, il n'est pour rien dans la formation de sa substance. Il n'est pas le créateur du peuple français ni la source de son identité. Et cela, l'histoire le démontre.

Reportons-nous rapidement aux origines, précisément au Serment de Strasbourg, publiquement prêté en février 842 par Charles de Chauve et Louis le Germanique, petits-fils de Charlemagne. Le texte faisant foi fut rédigé en roman (français ancien) et en tudesque. Il s'agit du plus ancien document connu attestant une séparation linguistique entre barons francs germanophones et francophones issus de la même souche. Le Serment de Strasbourg est en quelque sorte l'acte de naissance officiel des Français et des Allemands avant la France et l'Allemagne. En ce IXe siècle, sans qu'il n'y ait jamais d'Etat national, deux peuples frères différents sont déjà attestés par l’autogenèse de deux langues distinctes.

Avançons dans le temps. Dès les XIe et XIIe siècle, les preuves abondent d'une spécificité française rayonnante en dehors de tout Etat centralisé. La petite cour des roitelets de ce temps ne fut pour rien dans la composition de la Chanson de Roland, de Tristan et Iseult, ou du Perceval de Chrétien de Troyes, monuments primordiaux d'une francité bien enracinée dans le socle européen. Le rôle de l'Etat est tout aussi absent dans l'affirmation du style roman et dans le foisonnement, aux siècles suivants, de l'admirable architecture profane des châteaux, des villes et des maisons rurales, répondant à des styles régionaux bien spécifiques : l’architecture ancienne de Toulouse n’est pas celle du vieux Rouen. Contrairement à ce qui a été mille fois rabâché par une historiographie jacobine, la nation française ne fut pas une création de l’État. Elle est née d’elle-même. C’est pourquoi des abandons de souveraineté ne la mettraient pas en péril. C’est au contraire l’État d’aujourd’hui, avec son arsenal de lois immigrationnistes et destructrices de nos identités, qui met celles-ci en danger de mort.

Ayant à l’esprit ces réalités méconnues, il faut lire l’essai rempli d’audace, d’imagination et de volonté de Gérard Dussouy, professeur à l’université de Bordeaux, spécialiste des relations internationales, auteur de nombreux ouvrages de géopolitique, esprit à l’évidence identitaire et européen. Il se demande en effet si, en refusant le choix de la supranationalité, la France n’est pas devenue « le problème de l’Europe ». Narcissique, fanfaronne et nostalgique de sa grandeur passée, vivant dans le souvenir souvent faux de son histoire, la France s’imagine encore être une grande nation toujours capable d’influencer le monde, alors que le monde change sans elle depuis longtemps. Mais ces illusions auront une fin d’autant que s’évapore le récit statocentré de l’histoire française.

Petit par le nombre de pages, le livre de Gérard Dussouy est grand par le projet qu’il expose, l’ambition raisonnée qui le porte et l’adhésion enthousiaste qu’il suscite. Son auteur est bien conscient que, pour les Européens d’aujourd’hui, le scenario annoncé est celui de la décadence. Mais il renverse ce scenario en son contraire. « Si l’on est de ceux qui considèrent que seul le défi est générateur de grandes œuvres », écrit-il hardiment, les temps difficiles que l’on voit venir pourraient obliger les Européens à commencer une nouvelle histoire et bâtir un nouvel avenir en édifiant leur propre État au sein d’un grand espace générateur de vigueur et de puissance.

On a compris que Gérard Dussouy est de ceux qui considèrent que « le défi est générateur de grandes œuvres » ! Quel défi ? Celui d’une mort programmée de l’Europe. Quand l’auteur parle d’Europe, il ne pense pas au cauchemar technocratique et mondialiste de Bruxelles, mais à l’Europe des peuples, l’Europe civilisation, née de la Grèce antique, de Rome et des peuples frères, Celtes, Germains et Slaves, qui fécondèrent le christianisme médiéval, la Renaissance, les Lumières et la laïcité. L’Europe est cette « grande République » déjà décrite par Voltaire en 1751 dans son introduction au Siècle de Louis XIV, trente ans avant que l’Académie de Berlin n’ouvre un concours sur l’universalité de la langue française…

Aujourd’hui désunie, minée par des influences délétères, l’Europe s’achemine à grande vitesse vers la dissolution de son ancienne civilisation et la désintégration de ses nations, sous les effets conjugués du vieillissement, de l’immigration et de la sclérose économique. « Bien irresponsables ou naïfs sont ceux qui s’imaginent que nos démocratie européennes pourront s’octroyer toujours plus de facilités de vivre et de laxisme social dans le cadre étriqué de nos États-nations ». 

Gérard Dussouy rappelle que les vieilles nations européennes sont menacées dans leur existence par leur crise démographique et les effets d’une immigration de masse, tandis que les États européens sont eux-mêmes déclassés par les nouvelles puissances mondiales. Il serait complètement illusoire de considérer l’impuissante Union de Bruxelles comme un acteur capable de rivaliser avec la Chine, l’Inde, le Japon, la Russie ou les Etats-Unis qui, chacun, sont des États cohérents. Faute de ressources propres, on sait que les faibles États européens sont dès maintenant contraints de céder des pans entiers de leur économie nationale à des sociétés chinoises, indiennes ou qataries. 

Contrairement à ce que prétendent les adorateurs de la mondialisation, un État fort, incarnation de la puissance, ainsi que le grand espace étatique demeurent les seuls vrais acteurs internationaux. Quand on a compris cela, on comprend aussi que n’existera jamais un ensemble européen, une puissance européenne capable de garantir la survie de ses peuples et de ses nations culturelles, tant que n’existera pas un authentique État européen identitaire, une robuste République européenne de type fédéral recouvrant et protégeant la substance des anciennes nations, instrument politique au service des peuples et des citoyens européens de souche. Mais d’un tel but, nous sommes loin !

Tout se conjugue pour le moment contre l’édification d’un État politique européen. Les mondialistes, inventeurs du système de Bruxelles, se complaisent à penser un monde sans ennemi au sein duquel leurs utopies démocratiques se diffuseraient grâce à un marché planétaire qui ravage pourtant les sociétés européennes. À l’opposé, les souverainistes nationaux s’enferment dans un discours incantatoire qui ignore l’écart séparant la faiblesse des anciennes nations et leurs intentions affichées. Pour être une puissance, il ne suffit pas, sous contrôle américain, d’expédier dans l’ex Françafrique une poignée de parachutistes équipés de matériels épuisés, faire du maintien de l’ordre au profit des multinationales. De leur côté, les mouvements populistes, engendrés par le désarroi des populations face à d’insupportables conditions de vie, s’enferment dans le repli illusoire du pré-carré national et le refus de l’identité européenne.

Ce serait donc à désespérer de tout si ne survenait l’imprévu d’un « choc systémique » annoncé par Gérard Dussouy. Un choc causé par une convergence de crises. Comme souvent, à toute chose malheur est bon. L’auteur estime à bon droit que l’inéluctable choc systémique que l’on voit venir aura le pouvoir de renverser les images erronées qui nous submergent, en favorisant l’émergence d’une conscience européenne, « une volonté communautaire de survie et d’existence libre dans une même souveraineté », autrement dit l’émergence d’un européisme.

Les temps difficiles qui attendent la pseudo Union européenne et les Européens auront raison des institutions de Bruxelles. Mais ils pourraient aussi obliger les Européens à plus d’unité. Sans un État européen puissant, souligne Gérard Dussouy, sans une vraie politique européenne, le Vieux continent, rongé par sa faiblesse économique et démographique, perclus de fractures et de dissentiments, serait voué à une mortelle marginalisation dans un monde dominé par des puissantes géantes nullement philanthropiques. La seule alternative au choc systémique qui s’annonce sera un européisme capable de transcender les mouvements de rébellion et de dissidence. N’ayant plus que leurs dettes souveraines à opposer aux « fonds souverains » de l’Asie et du Moyen-Orient, nouveaux décideurs de l’économie mondiale, les populations européennes seront placées devant l’obligation de choix décisifs.

Gérard Dussouy se dit convaincu que le péril entrainera une révision brutale des « représentations » périmées. Selon lui, nos peuples découvriront qu’il existe « une voie et une seule, celle de l’État européen, souverain et identitaire. À l’épreuve des faits, ils saisiront que l’idéologie universaliste qui sous-tend leurs actuelles représentations du monde, les conduits à leur perte. Par nécessité, ils dépasseront leurs ethnocentrismes respectifs au profit de l’européisme ». Ayant cette perspective à l’esprit, on peut espérer et agir. « À condition de réconcilier les peuples avec le projet européen, d’articuler le local et le communautaire, de se débarrasser des visions passéistes ou nostalgiques aussi bien que de tout esprit de repentance, l’unité de l’Europe est le seul moyen d’échapper à la résignation ». 

L’existence d’un État européen supposera bien entendu une armée supranationale disposant d’un budget que seule pourra autoriser l’Europe fédérée. Pour éviter tout malentendu, Gérard Dussouy précise que ce projet militaire devra se faire en partenariat avec la Russie. Seuls des liens très forts avec cette grande puissance continentale offriront en effet à la nouvelle Europe le grand espace et les ressources immenses indispensables à son existence.

En formulant cet audacieux projet d’un État fédéral européen partenaire de la Russie, l’auteur ne se dissimule pas les obstacles. Il voit bien que le manque de communication entre les peuples européens, tenus de s’en remettre à leurs partis nationaux et aux fonctionnaires européens pour la conduite de leur destinée, est le principal obstacle à la mise en forme d’une réponse vraiment communautaire aux défis qui les assaillent. Mais, il compte à juste titre sur le stress du « choc systémique » pour favoriser l’émergence de mouvements citoyens européistes aujourd’hui encore inconcevables. Il compte qu’une nouvelle culture politique européenne envahira les partis politiques eux-mêmes, en faisant naître une « avant-garde » européenne capable de constituer un premier « noyau dur » auquel d’autres viendront s’agréger. On peut suivre Gérard Dussouy dans cette prospective audacieuse : « S’il doit exister des États pionniers de la Res publica europensis, explique-t-il, ce ne sera pas parce que cela était écrit, mais parce qu’à un moment donné, ces États seront dirigés par des partisans de l’État européen ». 

Autrement dit, si l’on comprend bien Gérard Dussouy, les nouvelles réalités géopolitiques et le choc systémique à venir feront apparaître, face aux Autres, l’affirmation d’un Nous européen en séparant de façon claire ce qui relève de l’intérieur (l’européen) et de l’extérieur (l’international). Une authentique supranationalité s’imposera alors comme une question de vie ou de mort. Avec la création d’un État véritable, elle fera naître un espace économique européen homogène et déconnecté du marché mondial du travail.

Ainsi que l’écrit Gérard Dussouy, le malaise social et identitaire qui explique la forte poussée des nationaux-populistes à travers tout le continent souligne paradoxalement la communauté de destin des Européens. Au sein même de ces mouvements, se fera jour la conscience qu’il faut s’unir si l’on ne veut pas disparaître. La promotion de l’identité européenne, fondera une identité recouvrante et non pas absorbante des identités antérieures. C’est alors que pourra être fondée une République fédérale européenne articulée sur l’authenticité des régions et l’effacement volontaire des États nationaux. Cette future république n’a pas de précédents historiques, sinon peut-être celui de la Suisse multilingue. Elle aura pour vocation de préserver l’identité culturelle des nations constitutives. 

L’auteur développe longuement sa réflexion sur ces questions, comme on le verra en lisant ses stimulantes analyses et propositions. Suivant son excellente et forte formule, « L’identité s’éprouvera comme conscience et s’affirmera comme volonté ».


Dominique Venner
Dominique Venner est écrivain et historien. Il dirige La Nouvelle Rebue d’Histoire. Parmi ses nombreux ouvrages, on peut retenir Histoire et tradition des Européens. 30 000 ans d’identité (Le Rocher, 2004). Le Siècle de 1914 (Pygmalion, 2006). Et récemment, Le Choc de l’Histoire (Via Romana, 2011).

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EXTRAITS

L’Union européenne, est à la dérive. La question commence à être posée de sa fin possible, à travers les difficultés récurrentes de la zone euro et l’inefficience de ses principaux rouages.
Le repli sur ses vieilles nations serait-il pour autant la planche de salut d’une expérience malheureuse et qui aurait tourné court parce qu’elle allait à contre-sens de l’Histoire ? Certainement pas, quand on constate que tous les pays européens présentent, à des degrés divers, le même syndrome caractéristique des fins de cycle civilisationnel. 
Plus que jamais, le seul recours est dans la construction de l’Etat européen, par et pour les peuples d’Europe.

La convergence des crises.
Alors que l’histoire est entrée dans son âge planétaire et que des transformations immenses sont entrain de se produire, les carences et les impasses s’accumulent en Europe.
Avec l’aggravation probable de la récession, pour de multiples raisons (poids de la dette souveraine et de la fiscalité, vieillissement, anémie de la croissance, exacerbation de la concurrence internationale, déflation salariale), et à fortiori, en cas de passage à une dépression de longue durée (croissance négative et diminution du PIB), il est à prévoir bien des conflits politiques : luttes pour l’emploi et la répartition des revenus, révolte dans les banlieues contre les suppressions des aides sociales, conflits intergénérationnels sur les retraites et sur les impôts entre des populations d’origines ethniques différentes et de plus en plus revendicatives en termes de croyances, de règles de vie et d’organisation sociale.
Soit une période de tensions et d’affrontements, d’essence à la fois sociale et sociétale, qui pourrait concerner plusieurs générations. Tout cela risque fort de ressembler, à des degrés divers et selon des modalités différentes en fonction des pays européens, à une « guerre de Trente ans » mêlant enjeux politiques, sociaux, et religieux...

L’Europe marginalisée.
Dans le même temps, toutes les tendances actuelles confirment notre hypothèse : le déplacement du centre de gravité mondial vers le Grand Océan, c’est à dire l’espace maritime formé par la réunion de l’océan Pacifique et de l’océan Indien ; tandis que les grands espaces de puissance, en particulier ceux de l’Eurasie de l’Est, deviennent les acteurs principaux de la politique mondiale. Avec deux corollaires : la formation du duopole Etats-Unis/Chine-Inde et la marginalisation en cours de l’Europe. La crise ouverte en 2008 accélère ce changement radical.

La nécessité vitale de l’État européen.
De quels poids pèsent, et pèseront dans l’avenir, les différents Etats européens face à l’Etat américain, à l’Etat chinois, à l’Etat indien ? Comment les Européens peuvent-ils relever les défis de la gouvernance mondiale, sans un centre de décision politique unique ? En s’accrochant au dogme suranné de la « souveraineté nationale », parce que dépassé par les réalités de la puissance mondiale, ils ajoutent au « syndrome romain », qui les affecte tous, le « syndrome byzantin », qui les rend impuissants,bien que réunis. Si l’on entend par là, la somme des conflits symboliques qui divisaient une Constantinople assiégée de toutes parts.
Dépourvue d’un véritable exécutif et de toute stratégie communautaire, autre que celle imposée par l’Organisation Mondiale du Commerce, et qui répond à la logique de la mondialisation, l’Union européenne court après les événements, pare au plus pressé, mais sans jamais rien anticiper. C’est un peu Blanche-Neige (c’est à dire la Commission, qui rêve toujours, naïve, d’une mondialisation heureuse) et les 28 nains (c’est à dire les États, si on ajoute la Croatie) qui sont incapables de s’entendre et de réagir promptement. 
Quand ils parviennent à arrêter une décision, c’est après un long processus plein de raidissements capricieux et de raccommodages miraculeux.

La supranationalité est donc la question première. Car il n’existera jamais « une Europe », puissance internationale garante de la survie des nations culturelles qu’elle englobe, tant que n’existera pas un Etat européen. 
Face à la situation de crise et face au durcissement à venir des relations internationales, consécutivement aux réalités sociales, démographiques, à la course à l’énergie, aux tensions politico-culturelles de toutes sortes, les peuples européens doivent se doter d’un Etat unique, volontariste et pragmatique.


« Patriotisme géographique » et construction européenne.
La construction européenne a été jusqu’à maintenant une construction par le haut,c’est à dire par les Etats et grâce aux traités qu’ils signent entre eux. Et l’explication convenue est qu’il ne pouvait en être autrement à cause de l’ethnocentrisme de chaque peuple. Pourtant, on peut croire à la possibilité d’une construction par le bas, sous la forme d’une reprise de la marche en avant à la demande de mouvements de citoyens convaincus que leur prospérité, leur sécurité, et leur identité ne peuvent plus être désormais garanties que par un puissant Etat européen. Mais, pourquoi l’Europe, et surtout, pourquoi des mouvements citoyens se lèveraient-ils en Europe ? Parce qu’à l’âge des menaces globales, qui plonge tous les peuples européens, les uns après les autres, dans une crise existentielle, tous sont proches, malgré une histoire récente qui les a durement opposés entre eux, par leurs origines anthropologiques et par leur passé civilisationnel. Dans la « guerre sans guerre » si caractéristique de la nouvelle scène internationale, pris isolément, les peuples européens sont tous aussi démunis et vulnérables les uns que les autres. La géographie, la culture et la civilisation les appellent à se rassembler, à se solidariser. Seul un « patriotisme géographique » des Européens est donc à même de relancer la construction européenne, parce que sans renoncer aux identités anciennes, il affirmerait la volonté de vivre ensemble des peuples et de faire valoir les héritages que tous les membres du continent ont en commun.










 
Au terme « Etat européen » utilisé dans le titre, j'eusse préféré le terme « Empire européen » ou « Confédération européenne », mais l'auteur critique ces deux termes, et lui préfère celui d'Etat. Peut importe. L'ouvrage de Gérard Dussouy a l'immense mérite de nous faire découvrir une pensée originale et une vision portée sur le long terme. L'ouvrage est structuré en deux grandes parties : le diagnostic (panorama très complet des forces en présence et à venir dans le monde), et les solutions (la solution, en fait, qui est "l'Etat européen"). Nous n'avons pas affaire ici à un écrit farfelu ni à un pavé indigeste. L'ouvrage fait 179 pages, il est accessible à tout un chacun. L'auteur, spécialiste reconnu de géopolitique, est lucide (c'est-à-dire pessimiste) quant au devenir de la France et de l'Europe ; mais l' Histoire n'est jamais écrite, dit-il, nous laissant entrevoir une lueur d'espérance. 
Gérard Dussouy parvient à synthétiser ses idées et à les exprimer dans un style clair et compréhensible par tous
Quelques passages, dans lesquels se succèdent beaucoup de statistiques, comme ceux traitant de l'économie, sont un peu moins agréables à lire ; mais pour ce genre d'ouvrage, les démonstrations doivent évidemment s'appuyer sur des chiffres et des références.
J'aurais apprécié, aussi, que soit abordée le problème de l'immigration. Certes, l'auteur précise bien que l'Etat européen qu'il préconise n'a rien à voir avec une Europe cosmopolite. Mais il ne précise pas comment un "Etat européen"  pourrait être plus efficace en matière de lutte contre l'immigration qu'un "Etat-nation". 
Cet ouvrage reste toutefois un ouvrage de référence qu'il faut absolument lire car il ouvre des perspectives nouvelles. Il est regrettable qu'aucun parti politique d'envergure nationale n'existe pour porter cette vision d'une Europe des peuples qui semble être la seule solution pour affronter les défis du monde de demain.
Je reproduis ci-dessous le sommaire du livre.



Péface de Dominique Venner

Introduction : Le syndrome romain.
L'implosion des sociétés européennes.
Le dépassement des Etats-nation européens.
L'Etat européen pour ne pas disparaître.

Chapitre 1 – La convergence des crises en Europe.
La fin du Vieux Monde ? Effondrement démographique et crise identitaire.
Le déclin industriel et la crise de l'endettement.
Les crises sociétale et politique : vers une « guerre de Trente ans » ?

Chapitre 2 – L'Europe reléguée à la périphérie du nouveau monde.
Le nouveau règne des Etats-continent.
La nouvelle carte du monde.
L'Europe face à un environnement international bouleversé et menaçant.

Chapitre 3 – L' Union européenne sans frontières et sans cohésion.
La nouvelle Europe continentale et ses frontières.
La Russie en Europe.
La cohésion territoriale et sociale de l'Union.

Chapitre 4 – Le besoin vital de l'Etat européen.
L'impuissance de la gouvernance européenne.
L'accession à la cohérence et à la puissance par la supranationalité.
L'Etat européen : une fédération de régions.
L'Etat européen : un grand espace de croissance équilibrée.

Chapitre 5 – Le choc systémique et l'Européisme.
L'Européisme contre les inhibitions idéologiques.
L'Européisme : mobilisation sociale et stress extérieur.

Conclusion générale.